Uber. Un nom qui résonne comme un tremblement de terre et pas que pour les compagnies de Taxi ! Libération du transport urbain, protestations, législations et lobbying, Ubérisation et fantasmes sur la dissolution des protections sociales, que d’émotions derrière un “simple” service de VTC.

La scène de James Bond qui a inspiré Uber

“Simple” semble bien être le mot d’ordre de cette aventure. Simple ou simplification. Simplification du transport en ville. Simple comme bonjour ou comme un tap sur une application: le cas d’école du fameux “the World at your fingers’ tip” (le monde aux bouts des doigts).

Cette obsession du simple est inscrite dans le code génétique d’Uber, dans le rêve de ses démiurges. Garett Camp, le prophète d’Uber – car Kalanick en est le dieu – raconte dans une interview, facile à trouver sur Youtube, comment l’idée a germé dans son cerveau.

D’abord, il y avait certes la frustration des Taxis (non, cette frustration n’était pas le monopole des parisiens …), l’envie de créer un service de Taxis meilleur, mais l’insight – l’éclair génial – s’est produit devant un … James Bond ! James (aka Daniel Craig) pressé et énervé pourchasse en voiture un évadé, il brandit son téléphone, la caméra zoome sur l’appareil et on y voit se dessiner la localisation d’une voiture. Certes l’intention de James-Daniel n’était pas de commander une course mais bien de l’arrêter. Mais l’image a suffi : une vision était né dans l’esprit de Garret … Il fallait commander une voiture et la voir arriver vite, tout de suite avec à son bord un conducteur respirant la classe et l’élégance d’un James Bond …

Donc simple ! Mais simple à manier ne veut pas dire simple à bâtir … loin de là. C’est même l’inverse. La simplicité est la sophistication suprême disait Léonard de Vinci. Elle est suprême parce que c’est un véritable luxe, parce qu’elle est plaisante et intellectuellement séduisante ; elle est aussi suprême car elle est souvent difficile à trouver : pensez aiguille à coudre de Singer, pensez modeste vis filetée, pensez relativité spéciale …

Elegance à l’extérieur, complexité under the hood.

Uber, c’est une entreprise qui, pour assurer le service global qu’elle promet, paie en tout environ 40 milliards d’euros. Mais sûrement, penseriez-vous, aurions nous pu obtenir la même expérience utilisateur (immédiateté, magie, réalisation d’un voeu de transport par un simple effleurement) en faisant plus léger ?

Ce n’est pas si évident. La clef de l’expérience utilisateur d’Uber est l’élimination des temps d’attentes et des angoisses. Dans Paris par exemple, n’importe où que l’on se trouve, un essaim de voitures Uber nous tournent autour. Ceci est rassurant et garantit le démarrage de la course en quelques minutes. Ce tissu continu de voitures à crû pour devenir l’équivalent en nombre des taxis, au nombre d’abonnés à G7 par exemple (une compagnie qui a opéré les taxis de la Marne !).

Pour alimenter ce tissu, il faut tout de suite une pénétration très élevée du marché. Uber ne peut être Uber qu’en frappant très fort et en allant très vite. Sinon, le cercle vertueux – assez de chauffeurs pour chaque passager / assez de passagers pour chaque chauffeur – tombe rapidement … Et c’est comme ça dans toutes les grandes villes où le service est présent.

Une des clefs du succès est que le service est mondialement connu et donc universellement utilisable pour les générations de globetrotters que nous sommes (en cela, il est unique)…

Et c’est ainsi tout le long de l’expérience utilisateur. La chasse est donnée au moindre accroc, à la moindre attente, à la moindre anxiété. L’avis du passager est demandé, il est engagé, le conducteur se sait noté, il offre bonbons et bouteille d’eau, il ouvrait même la porte à une époque… Il propose la bonne musique, il s’excuse quand il freine sec. Bref, ainsi s’écrit la féérie de Uber de bout en bout. Et celle-ci est très compliquée à mettre en oeuvre et à bien suivre …

L’application mobile est certes la pièce très distinctive du dispositif, sa signature, le départ du rêve de Garret Camp, mais l’application mobile et même le dispositif technologique entier n’est que la partie émergée de l’Iceberg, la façade par laquelle nous accédons à une machine d’une complexité fantastique. Cette disproportion du perçu et du caché m’a été confirmée par le CEO d’un service équivalent (même si de moindre échelle) Heetch. A la question de savoir si le dispositif digital était une de ses majeurs préoccupations, la réponse de Teddy Pellerin a été nette, sans détour : non. La préoccupation, c’est les opérations, le juridique, le recrutement, pas tant le digital.

D’ailleurs il suffit de jeter un coup d’oeil sur le bilan de Uber, que vous pouvez consulter ci-dessous, pour comprendre que ce n’est pas du tout une boite de techno…

Toute la techno se cache dans le 3,2% de la ligne R&D. Le coût de l’application mobile en elle-même ne doit pas dépasser un million par an (estimation de mon équipe de dev), soit 0,003%.

Au final, vous voyez bien, c’est très, très dur de faire très simple…

Chadi Abou Karam

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